Economie
Marché de l'électronique: face à la crise, des commerçants se réinventent
21/08/2021 - 18:30
Lina IbrizLa demande d'ordinateurs portables a bondi de près de 75 % depuis le début de la crise sanitaire, selon les données publiées par la firme d'études International Data Corporation, alors que les expéditions mondiales de tablettes ont augmenté de 17% en glissement annuel au deuxième trimestre de 2020, selon la société d'études de marché Strategy Analytics. Le Maroc n'a pas fait l'exception. Avec la mise en place du confinement, du télétravail et de l’enseignement à distance, la demande des Marocains pour les appareils électroniques a augmenté de façon exponentielle.
Quand la hausse de la demande provoque la déception des vendeurs
Contrairement aux normes, la demande croissante est devenue une source de frustration pour les vendeurs des appareils électroniques au Maroc. "Plusieurs personnes souhaitaient se procurer des ordinateurs ou des tablettes au début de la pandémie. Nous ressentions qu’il y avait un besoin et une clientèle très forte. Malheureusement, à cette période, nous avons dû fermer nos magasins. La demande était là, mais nous étions incapables d’exercer notre activité commerciale", déclare le propriétaire d’un magasin d’appareils électroniques à Kissaryat Akhmassi dans la ville de Casablanca.
"Nous avons fermé nos portes en mars 2020. Alors que beaucoup de Marocains avaient besoin d’acheter des PC pour leur travail et des tablettes pour leurs enfants pour suivre les cours, nous étions chez nous en train de cumuler des crédits au lieu d’augmenter nos chiffres d’affaires. La pandémie a créé un besoin énorme, et puisque nos magasins étaient fermés, les clients se sont retournés vers les grandes surfaces qui, elle, étaient ouvertes. Ils ont acheté leurs appareils à des prix plus élevés que les prix que nous proposons et qui poussent les clients à favoriser très souvent nos magasins. Il y avait tout simplement un énorme besoin", explique Abdelouahed, propriétaire d’un magasin au même centre commercial.
Face à la crise, la créativité ...
Alors que les restrictions sanitaires imposaient la fermeture des commerces et endroits publics, Internet et les réseaux sociaux, quant à eux, sont devenus les nouveaux espaces publics. A leur tour, les vendeurs des appareils électroniques n’ont pas tardé à transporter leurs activités en dehors de leurs magasins fermés.
"Nous restons généralement en contact avec nos clients. Lors du confinement, plusieurs appelaient pour acheter un PC ou un smartphone. Et donc on a commencé à vendre à distance et même à proposer la livraison des appareils à domicile. Cela nous a permis de limiter un peu l’impact de la crise économique", déclare Brahim, un vendeur dans un magasin au centre-ville.
Ainsi, plusieurs vendeurs ont lancé leurs offres sur les réseaux sociaux pour répondre à la forte demande des clients. "Ici, nous travaillons en communauté et nous avons l’habitude de nous entraider, donc nous avons créé des groupes sur WhatsApp pour partager les nouveautés du marché, discuter de la situation et trouver des solutions ensemble", souligne Abdelkrim, gérant d’un magasin d’appareils électroniques à Kissaryat Akhmiss. "Nous partagions les informations sur les Smartphones existant aux stocks et si un vendeur a un client qui demande un produit ou un modèle dont il ne dispose pas, nous nous arrangions entre nous pour le lui fournir. C’est ce que nous faisons tous les jours et face à la crise nous devions être encore plus solidaires", ajoute-t-il.
Si plusieurs vendeurs se sont lancés dans la vente en ligne et par téléphone et considèrent cela être une bonne solution, plusieurs d’autres se sont montrés opposées à l’idée. C’est le cas de Hamid, propriétaire d’un magasin de smartphones, qui, interrogé sur la question, a signalé que "c’est vrai que cela a permis de faire bouger un peu les choses, mais ce n’était pas une solution réelle", annonce Hamid en toute fierté.
"Que ce soit à Derb Ghellef ou ici à Akhmass, la raison principale pour laquelle les clients viennent d’autres villes c’est la réputation des vendeurs. Nous sommes des gens sérieux et nous offrons à nos clients des garanties de qualité, mais sur Facebook ou WhatsApp tout s’est mélangé. Plusieurs de nos clients se sont faits arnaqués par des vendeurs qu’on ne connaît même pas. Ils se sont incrustés et ont commencé à vendre des produits défaillants. Cela a impacté la confiance des clients", regrette-t-il.
Après la réouverture, la rupture des stocks et la hausse des prix
L’allègement des restrictions sanitaires a permis aux magasins des appareils électroniques de reprendre lentement leur activité commerciale. D’après plusieurs gérants de magasins, les premiers mois après la réouverture des commerces ont été marqués par une activité plus ou moins lente. En effet, les ventes n’ont connu une véritable croissance qu’à partir d’octobre 2020, selon plusieurs professionnels du domaine.
"A partir des mois d’octobre et de novembre, le nombre des ventes a augmenté. Les gens avaient peur un nouveau confinement et avec l’enseignement à distance ils se sont mis à acheter des appareils électroniques. En particulier, pour les tablettes et PC portables, la demande était énorme", explique Hasna, une vendeuse dans un magasin en plein centre-ville de Casablanca. "Les clients venaient à la recherche surtout de tablettes, mais elles n’étaient pas disponibles. Jusqu’à ce jour, nous ne disposons toujours pas de certains modèles de tablettes", ajoute-t-elle.
En revanche, et selon un vendeur à Derb Ghellef à Casablanca, les différents appareils électroniques des différentes marques Samsung, Apple, Oppo etc… ont toujours été disponibles. Néanmoins, "les frais de la douane et du transport ont fait que les nouveaux arrivages sont plus chers. Evidemment, lorsque les coûts augmentent le prix de vente augmente aussi, mais ce n’est pas le client qui paie seul. Nous essayons de maintenir les prix raisonnables, donc au lieu de gagner plus, plusieurs vendeurs vendent avec un bénéfice de 50 dirhams seulement".
Ce constat est confirmé par un responsable commercial d’OPPO chargé de la région de Casabarata à Tanger. "On ne peut pas réellement parler de rupture de stock au niveau des appareils. Malgré toutes les difficultés comme les frais des douanes qui ont augmenté, les charges supplémentaires du transport ainsi que les retards importants que les conditions actuelles provoquent au niveau de la livraison des appareils importés, il n’y a pas eu de rupture de stocks. Tout au contraire, les gens n’achètent plus, donc pour liquider les anciens stocks, plusieurs vendeurs sacrifient une partie de leur marge de bénéfice afin de pouvoir acheter et commercialiser les nouveaux modèles", indique-t-il.
Une récupération difficile
Une seule tournée dans plusieurs espaces réservés à la vente des appareils électronique est suffisante pour faire l’état des lieux du secteur. Qu’il s’agisse des branches de grandes société ou des Kissaryat rassemblant de petits magasins, la clientèle est presque inexistante. L’ennui et la détresse teintent les visages de vendeurs qui, avant, n’avaient même pas le temps de déjeuner, vu un rythme d’activité accéléré.
"Avant, vous n’auriez même pas eu la place pour rester debout ici, ni moi aurais-je trouvé le temps de répondre à vos questions", dit en rigolant un vendeur interrogé sur son activité avant la pandémie. "Maintenant c’est la crise, plusieurs magasins ont dû fermer et dans certains endroits, les vendeurs ont changé d’activité, alors que tous ceux que vous voyez ici pourraient faire de même. Il est très dur pour nous de retrouver le même niveau. Nous sommes toujours en train de payer les crédits cumulés en 2020. Le loyer seul coûte 400 dirhams par jour, et nous sommes passés d’un gain quotidien variant de 2.000 à 3.000 dirhams à 500 ou 800 dirhams. Dans ces conditions, les ventes ont chuté de presque 60%", détaille-t-il.
"Les gens ne se permettent plus d’acheter de nouveaux téléphones aussi fréquemment qu’avant. Ils ont d’autres besoins prioritaires à satisfaire. En réalité, les gens ont peur de l’avenir et de se retrouver sans entrées financières et sans épargnes. Ils préfèrent donc garder leur argent de côté. Après la réouverture, les gens sont venus acheter des téléphones et des ordinateurs car ils en avaient besoin. Depuis, les ventes ont chuté de manière catastrophique. Les gens préfèrent réparer leurs anciens appareils. Et donc actuellement, nous travaillons plus dans la vente des pièces de change et dans la réparation", explique le propriétaire d’un magasin à Kissaryat Akhmassi.
Ainsi, tous les vendeurs interrogés ont confirmé que, bien qu'ils ne s'attendent pas à une reprise rapide, ils gardent l'espoir que la crise finira bientôt.
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